Par Philippe Ducarroz
Atteindre le dernier weekend et ainsi jouer pour une médaille. Voici donc le nouvel objectif que la Fédération suisse a fixé à Patrick Fischer depuis deux ans après des décennies (ou presque) de désir poli de qualification pour les quarts de finale. L’air de rien, un sacré pas en avant pour une équipe de Suisse toujours ambitieuse sur le papier, rarement à l’arrivée à l’heure du décompte. On ira même plus loin puisqu’il est exigé de Fischer, le sélectionneur national, de disputer un bon tournoi sous peine de… de… en fait, on ne sait pas vraiment quelle serait la position de ses patrons, jusqu’ici plutôt protecteurs à l’extrême, et qui ont pris l’habitude de noyer un peu le poisson à l’heure des questions qui fâchent. Bref…
Passer le cap des quarts de finale, une barrière psychologique à laquelle se heurte la Suisse depuis 2019! Techniquement, les Helvètes sont au niveau. C’est dans la tête que ça flanche. Rappelez-vous cette égalisation concédée contre le Canada dans la dernière seconde ou encore le camouflet de l’an dernier face à l’Allemagne alors que notre équipe nationale avait été la meilleure équipe du tour préliminaire. C’est dans la tête que ça se passe, l’argent de l’Allemagne et le bronze de la Lettonie en 2023 viennent le rappeler cruellement.
On ne peut évidemment souscrire aux propos d’un Lars Weibel, patron des équipes nationales, qui déclarait alors en gros que le joueur suisse n’était pas construit pour gagner. Fischer, lui, se disait même un peu coupable de ne pas avoir été… prêt (!) pour le quart de finale contre nos voisins germanophones. On croit rêver. La médaille d’argent de Copenhague semble bien lointaine. Les échecs répétés en quarts de finale face à des adversaires abordables (deux fois l’Allemagne et une fois les Etats-Unis) lors des trois dernières éditions, après des phases de groupe de qualité, ont fragilisé la position du Zougois.
Attitude différente cette année
On apprend toujours de ses erreurs. De communication. Mais cette dernière est devenue tellement importante au vu du battage médiatique autour de la Nati qu’il est important d’afficher un visage serein et confiant. De ce côté-là, il y a un mieux incontestable cette année malgré des attentes de plus en plus évidentes. Ne l’oublions pas, nous sommes à deux ans d’un championnat du monde à Zurich et Fribourg.
S’il veut encore être en place en 2026, Fischer a donc le devoir de créer une bulle de protection autour de ses choix, histoire qu’il ne soit pas la cible No 1 en cas de nouvel échec. Pas sûr que ça suffise, car la Suisse version «Mondial 2024» est une grosse pointure. Encore plus depuis l’arrivée de Roman Josi, le leader indispensable à tout prétendant à une médaille.
L’examen sera révélateur dans un tournoi dont le niveau sera plus élevé que ces dernières années. La perspective des Jeux de 2026 aiguise aussi les appétits, les stars ont compris qu’une éventuelle sélection de leur part pour Milan/Cortina doit d’abord passer par une participation aux championnats du monde qui précèdent.
Une base NHL
Mais que vient faire l’équipe de Suisse face à des Suédois, Canadiens ou Américains qui ont sorti la grosse artillerie, cette Suisse qui a entamé sa préparation pour ce rendez-vous tchèque par… onze revers consécutifs? Poser la question est (re)lancer une polémique inutile. Ex-championne du monde des matchs amicaux, la Suisse a intégré un Euro Hockey Tour qui, immanquablement, fait baisser son taux de réussite: plus compliqué tout de même d’affronter la Suède, la Finlande et la Tchéquie que la Slovaquie, le Danemark ou la Lettonie.
Et quand vous alignez différentes équipes expérimentales comme Fischer sait très bien le faire, il est impossible de se prononcer sur la valeur réelle de notre sélection. Lui-même voit une Suisse certes défaite mais jouant mieux qu’il y a douze mois. Dont acte. Toujours est-il que pour pouvoir toucher du métal, il est tout de même important de démontrer que l’écart entre sa propre équipe et les meilleurs pays se réduit. Or, lors des Betano Hockey Games à Brno la semaine passée, la défaite du samedi est la 6e sur les 7 dernières confrontations avec la Finlande. Contre la Suède, ce sont 16 (!) revers consécutifs que l’on doit mettre au compte de Patrick Fischer.
Alors, la Suisse est-elle capable de faire un nouveau pas en avant dans le contexte actuel? La réponse, nous l’aurons dès cet après-midi avec le premier match face à la Norvège. Des joueurs importants comme Pius Suter, Kevin Fiala, Timo Meier ou JJ Moser ne sont pas là, la blessure de Denis Malgin prive Ficher d’un élément déterminant. Mais elle accueille dans ses rangs des NHL’ers qui doivent tirer l’équipe vers le haut. Nico Hischier, Nino Niederreiter et Philipp Kurashev ont tous un rôle majeur à assumer, pas seulement au niveau helvétique mais aussi dans le tournoi. Que dire alors du duo Roman Josi et Jonas Siegenthaler qui doit «tailler patron» en couverture, pourquoi pas, d’Akira Schmid (qui ne partira toutefois pas titulaire)?
Sous le casque
On ne fait évidemment pas une équipe gagnante avec uniquement un Top 6 constitué de joueurs de NHL, mais la base se révèle solide. Vous y ajoutez des gars de National League (Gaëtan Haas, Sven Andrighetto, Calvin Thürkauf, Andrea Glauser, Dean Kukan) qui ont plus ou moins le format pour évoluer dans la plus grande ligue du monde et des bosseurs (Tristan Scherwey, Fabrice Herzog, Christoph Bertschy par exemple) qui peuvent, de par leurs particularités propres, regarder dans les yeux les meilleurs joueurs du monde et vous obtenez une sacrée sélection, bien équilibrée et qui peut aller loin dans la compétition.
C’est donc sous le casque que se jouera peut-être l’avenir de notre équipe nationale dans ce tournoi et de Fischer pour l’avenir. La confiance, elle l’obtiendra si elle ressort indemne de quatre de ses cinq premiers matchs, soit des matchs convaincants contre la Norvège, l’Autriche, la Grande-Bretagne et le Danemark. Il y aura comme 3e partie un premier test face à la Tchéquie à domicile, théoriquement sans pression particulière. Elle terminera son tour préliminaire face à deux médaillables: le Canada et la Finlande.
C’est alors qu’interviendra la réponse cruciale qui déterminera l’avenir du sélectionneur qui dispute dès aujourd’hui son 8e championnat du monde à la tête de l’équipe: si la Suisse fait preuve de caractère, elle atteindra peut-être son objectif de disputer au moins une demi-finale. Si elle re-re-re-craque mentalement, il sera alors temps de penser au changement. Qui paraîtra alors naturel et indiscutable.