Par Filippo Frizzi
Les grandes émotions sont comme le premier amour: on ne les oublie jamais. Pas besoin d’une Delorian roulant à 88 miles à l’heure pour sélectionner le fichier dans ma mémoire. Nous sommes le 1er mars 1986 (une date historique pour le hockey tessinois) lorsque le HC Lugano se rend à Davos pour le deuxième match de la finale (à l’époque, au meilleur des trois). Le premier match à la Resega a montré que les hommes de John Slettvoll avaient les atouts nécessaires pour remporter le jackpot.
À 19 ans, je vis ma première grande émotion: assister à la finale en direct, sur place, à la Eishalle de Davos. Et mon baptême du hockey à l’extérieur est palpitant. Une succession de joie, de déception, parfois de frustration. Les Bianconeri, menés deux fois de deux buts, parviennent obstinément à revenir à 5-5. Puis, à 53 secondes de la troisième sirène, c’est le feu d’artifice avec le but de Kenta Johansson (son troisième de la soirée) qui donne l’avantage 5-6 avant le 5-7 définitif de Jörg Eberle (autre grand protagoniste). Il est un peu plus de 23 heures et les supporters bianconeri se retrouvent à la Resega pour fêter leurs héros. Tous en voiture et direction le Tessin. L’équipe arrive vers 3h30 et le premier à entrer sur la glace est Slettvoll, qui affiche une détermination de guerrier avec la coupe (deux fois plus petite que celle d’aujourd’hui) en étain.
Retour dans le présent, en jetant un œil vers l’avenir… Dans neuf mois, cela fera 40 ans depuis cette soirée magique. Toute la Suisse a découvert le Lugano de Slettvoll, mais aussi celui de Fausto Senni et surtout celui de Geo Mantegazza. Aujourd’hui, 40 ans plus tard, le Lugano de Slettvoll refait surface avec un entraîneur suédois (sans oublier l’expérience peu exaltante de Johansson comme entraîneur): qui mieux que Slettvoll pour parler du nouvel entraîneur bianconero. Joint par téléphone à Umeå, dans le centre-nord de la Suède, Big John ne se dérobe pas… Lui, en bon grand-père, qui accompagne trois fois par semaine ses petits-enfants à l’entraînement d’athlétisme.
John Slettvoll, pour le HC Lugano, ce fut une année horrible: d’abord le départ de Geo Mantegazza, puis une treizième place et un play-out effrayant contre Ajoie...
J’ai suivi la saison et il est difficile de commenter à distance. Mais depuis toujours, le problème numéro 1 à Lugano est la pression. C’est vrai qu’elle existe partout, mais Lugano est un cas particulier. L’entraîneur doit soulager les joueurs de la pression et la prendre sur lui. Tu te souviens de 2008? Lugano m’avait appelé pour affronter un autre moment difficile: les barrages contre Bâle. Cela semblait facile après la première victoire, mais les Bâlois nous ont mis en grande difficulté : ils n’avaient rien à perdre, nous avions tout à perdre. Je ne peux pas oublier le but décisif de Murray.
Le projet de faire appel à un entraîneur local a donc été abandonné. Luca Gianinazzi a payé son inexpérience, ont commenté ses collègues. Mais peut-être que le club aurait dû lui adjoindre un homme expérimenté – un Peter Andersson ou un Glenn Metropolit, pour ne citer qu’eux – afin d’apporter de l’expérience au groupe…
Je suis venu à Lugano pour les adieux à Geo Mantegazza et je n’ai pas suivi l’équipe en direct. Je ne sais pas ce qui est arrivé à Gianinazzi, mais je pense que faire appel à un jeune entraîneur peut fonctionner. Le Lugano s’est tourné vers le nord et, vu les résultats obtenus par Cereda à Ambrì, a pensé pouvoir lancer un entraîneur issu de son centre de formation. Cereda, que je connais pour l’avoir eu dans l’équipe nationale U20, a fait ses armes en Swiss League.
Le nouveau Lugano repart avec un Suédois, Thomas Mitell, qui a fait ses preuves avec Farjestad…
J’ai vu la conférence de presse de Lugano presque par hasard sur Internet. Et j’ai été frappé par le long silence de Mitell lorsqu’un journaliste lui a demandé s’il avait des contacts avec le ZSC… Saviez-vous que Mitell a été un grand joueur de poker professionnel? Il est arrivé en cours de saison 2021/22 avec Farjestad, sixième en saison régulière et vainqueur de la finale. Puis deux excellentes saisons régulières et une élimination en playoffs. Il devra apporter une énergie positive, une culture du travail et, comme je l’ai déjà dit, gérer l’énorme pression.
Le Championnat du monde débute demain en Suède et au Danemark: comment voyez-vous les Rossocrociati de Patrick Fischer? Avec le trio Timo Meyer-Hischier-Fiala, la Suisse vise haut après sa médaille d’argent il y a 12 mois. Allez-vous suivre les Championnats du monde sur place?
Si la Suisse se comporte bien et se qualifie pour les quarts de finale en Suède, j’accepterai l’invitation de Lars Weibel et Patrick Fischer, que j’ai rencontrés lors des funérailles de Geo. Je regrette de ne pas voir Roman Josi sous le maillot rouge et blanc. C’est une grande personnalité, il a toujours été un protagoniste des Championnats du monde et a même été sélectionné dans l’équipe idéale des Championnats du monde.
Vous-même avez été sélectionneur pour la Suisse en 1992 et 1993. Comment a évolué le niveau des joueurs suisses depuis votre mondial en 1993?
Le hockey s’est développé comme le pays. Je me souviens bien de ces Championnats du monde: c’était la première fois que les Helvètes évoluaient dans le groupe A. Lars Weibel et Marcel Jenni étaient un cran au-dessus de tous les autres, mais ils avaient un an de moins que toute l’équipe. Je me souviens encore de ma stupéfaction lorsque j’ai appris que Jenni avait signé pour Färjestad. C’était la première ouverture vers l’étranger (la NHL était une utopie) pour un joueur suisse. Aujourd’hui, les jeunes partent tôt, souvent pour un championnat universitaire aux États-Unis ou au Canada.
Un dernier regard sur l’équipe nationale des Trois Couronnes: la défaite contre les « cousins » finlandais a-t-elle été digérée? Qu’attendre de la Suède?
Nous avons tout de suite compris une chose: sans renforts de la NHL, l’équipe ne fonctionne pas. Il est vrai que lors des premiers matchs amicaux, il y avait aussi la finale du championnat. Avec les joueurs arrivés de la NHL, l’équipe a battu la République tchèque et la Suisse. Ces dernières années, nous avons toujours disputé un bon tour préliminaire, mais nous n’avons presque jamais eu de véritables leaders.
Vos ne m’avez pas dit si vous aviez digéré la défaite contre les Finlandais….
C’était terrible, sur le plan sportif .