Une page se tourne à Göteborg. Après douze saisons à la barre du Frölunda HC, Roger Rönnberg laisse derrière lui bien plus que des trophées : il laisse une méthode, une philosophie, presque une école. Avec deux titres de champion de Suède (2016, 2019) et quatre Coupes de la Champions Hockey League (2016, 2017, 2019, 2020), l’homme au regard perçant et à l’autorité tranquille s’impose comme le stratège le plus accompli de l’histoire du club. Mais ce palmarès, aussi flatteur soit-il, ne dit pas tout. Rönnberg n’a pas simplement remporté des matchs. Il a transformé un club. Un collectif. Une culture.
Printemps 2012. Le Frölunda HC, alors en quête de renouveau après une période déclinante, jette son dévolu sur un entraîneur nordique en vue à Stockholm. Roger Rönnberg, connu pour ses succès à la tête de l’équipe nationale junior, est appelé par le président Mats Grauers. La réponse est lapidaire : « Aucune chance. Frölunda ne représente rien de ce que je défends. »
Cette phrase, que beaucoup auraient pris pour un refus définitif, allait au contraire poser les bases d’un dialogue exigeant. Les deux hommes se rencontrent à Stockholm, dans un salon discret du Scandic Central. Le courant passe, intellectuellement, sportivement, humainement. Rönnberg découvre un président qui pense l’organisation sportive comme un écosystème vivant. Grauers parle développement, valeurs, structure. Rönnberg, séduit, accepte. Une révolution douce commence.
EXIGEANCE ET CROISSANCE
Très tôt, Rönnberg impose sa marque : celle d’un entraîneur qui ne dirige pas seulement une équipe mais façonne une culture. Sa conviction ? « On ne voit pas le joueur pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il peut devenir. » Inspiré par une conception presque agronomique du développement – il parle volontiers de « serres » pour désigner les structures de formation –, il bâtit un modèle durable où le centre de formation devient l’épine dorsale du club. Le développement des jeunes ne se fait pas au détriment des résultats, mais comme condition même de leur pérennité. L’élite, selon Rönnberg, n’est pas un statut, c’est un processus. Son obsession pour la progression individuelle se traduit dans son rapport aux joueurs : entre exigence et confiance. Il demande beaucoup – intensité, adaptation, remise en question – mais offre en retour un espace où chacun peut devenir meilleur, même à 30 ans.
L’arrivée de Rönnberg ne fut pas sans remous. Joel Lundqvist, capitaine emblématique du club, confie avoir eu du mal à adhérer à la nouvelle méthode : « Le style de jeu, les exigences, tout était différent. J’ai dû me mordre la langue. » Pourtant, de cette tension initiale naît une alliance solide. « Il a toujours fixé des standards élevés, et a contribué à faire comprendre que les joueurs doivent être exigeants les uns envers les autres ». Cette culture du standard, de la rigueur partagée, devient l’ADN du Frölunda version 2010s.
BÂTIR POUR DURER
Ce que Rönnberg a apporté dépasse la patinoire. Il a professionnalisé le club de l’intérieur, structuré les fonctions, élargi les perspectives. Il n’a jamais considéré les victoires comme des fins en soi, mais comme des effets secondaires d’un travail bien fait. Même dans la gestion de son départ, tout semble réfléchi : Frölunda est prêt pour la suite. Avec lui, le club n’a jamais flanché, jamais vécu de saison ratée, jamais flirté avec la zone rouge. Une régularité presque scolaire dans une ligue imprévisible comme la SHL. Ce n’est pas un hasard, mais le fruit d’une vision.
Dans un hockey moderne où la pression du court terme écrase parfois toute perspective, Roger Rönnberg aura incarné une rare continuité. À Göteborg, il a réconcilié développement et performance, patience et ambition, rigueur et bienveillance. Son nom restera associé à une période d’or du Frölunda HC. Mais son héritage dépasse les coupes et les médailles. Il est inscrit dans les habitudes, les esprits, et surtout, dans l’exigence tranquille avec laquelle Frölunda aborde désormais chaque nouvelle saison. Son objectif? Transposer la méthode sur les bords de la Sarine…
