Par Christoph Yavkin
Le championnat de National League va retrouver ses quartiers dans deux semaines et il est naturellement, et comme toujours, au plus haut point intéressant de se projeter sur son développement, son futur à court, moyen et sur le long terme. À mon titre très
personnel, ne prétendant surtout pas à placer le sulky devant les chevaux de la course, j’ouvre volontiers un champ de réflexions qui peuvent permettre de se faire un panorama des prévisions.
Il faut tout d’abord tenir compte de plusieurs inconnues très réelles: la première est la méconnaissance que nous avons des parcours de nombreux «newbies» dans notre championnat et donc le fait d’une toute 1ère expérience en Suisse. La deuxième est dès lors la capacité, voire la volonté réelle, et le degré d’adaptation de ceux-ci à leur nouveau décor. Aussi, à ces égards, de nombreux joueurs sont autant de points d’interrogation, dans l’horizon d’un 1er mois de compétition tout au moins.
Et de ce seul point de vue, on est servis! De A à Z, ou d’Ajoie à Zurich si vous préférez, de Palve (HCA) à Kinnunen (ZSC), ils sont près d’un tiers des 80 engagés à n’avoir jamais évolué dans notre pays. Pour quatre d’entre eux, deux des Finlandais à avoir rejoint le Jura Nord, Oula Palve et Jerry Turkulainen, ainsi que pour le tchèque Daniel Vozelinek à Zoug et l’américain Gavin Bayreuther à Lausanne, il s’agit même de leur absolue première à l’étranger. Alors que Philippe Maillet, successeur de Laurent Dauphin à Ambri-Piotta, est aussi à considérer comme un cas particulier puisqu’en dehors de l’Amérique du Nord, il a évolué (avec brio) deux saisons à Magnitogorsk, avant de passer 2023/24 en AHL, à Laval, où Dauphin, natif de Repentigny, est «réapparu» à son tour! Le monde… ou Montréal est décidément petit.
Il faut par conséquent une bonne dose d’audace pour s’exprimer dans ces conditions mais, bien que la marge d’erreur soit large, on sait que ce n’est pas la prise de risque qui fasse ici défaut. Il va de soi que le ZSC, par son effectif et par la constance de celui-ci (un minimum absolu de mouvements), plane. Ce ne sont pas les retraits de Simon Bodenmann et Reto Schäppi qui perturberaient l’ensemble ! Mais c’est bien le classement au terme de la saison régulière qui est ici sur la table et pas ce que seront les playoffs.
Cela paraîtra déroutant pour certains, mon favori et pour autant que Joren Van Pottelberghe y remplisse son rôle de portier avec mention… est Lugano. Une défense peut-être un rien fragilisée (quoique…) mais un coach excellent et une attaque de tous les diables: autour de ce Mark Arcobello que je n’ai pas en odeur de sainteté mais qui est d’une préciosité extrême pour l’entourage, les Daniel Carr et Michael Joly ne demandent qu’à faire du petit bois, Radim Zohorna les a rejoint et quel numéro ! Enfin, si Gianluca Gianinazzi n’a pas insisté avec Arttu Ruotsalainen, que tout un chacun attendait comme un joyau, et opté pour un Jiri Sekac, largué et irascible à Lausanne, il doit y avoir une solide et pas innocente raison.
Ce LHC justement: la défense inspire pleine confiance. Prudence est de mise devant, on connaît Janne Kuokkanen mais ce n’est ni le cas de Lauri Pajuniemi ou Ahti Oksanen. On peut néanmoins les imaginer profiter de l’effet Antti Suomela et les voir en prendre l’exemplaire sillon. Qu’un coach tel que le très convivial Geoff Ward saura coordonner autour d’un Michael Raffl, prolongé et pour cause: quel leadership! Et Lausanne dispose de 8 étrangers…
Kahun & Raffl même combat
Davos aura aussi sa part de haut de classement : Les arrivées d’Adam Tambellini et Simon Ryfors, venus ensemble de Rögle où ils se sont passablement côtoyés, seront des successeurs dignes de Dennis Rasmussen et Leon Bristedt. Ryfors est de plus un «clubiste», Davos chérit ce genre de profil! Petit doute dans la défense avec le finlandais Julius Honka, pas encore vraiment à son aise sur nos surfaces. À cheval entre Berne et Genève, le droitier n’a que peu convaincu les choix. Mais, outre un effectif très sain, les Grisons tiennent le meilleur coach de la ligue et du pays (Josh Holden), qui saura y faire ! Le SCB devrait compléter le tableau à l’avant du cortège. Gardien vacciné, défense 100% made in Sweden avec l’arrivée d’Anton Lindholm aux côtés de Patric Nemeth. Attaque à priori largement bonifiée, Autour de l’allemand Dominik Kahun et son rôle à la Raffl), l’excellent grand gabarit Victor Ejdsell de Färjestad et deux transferts très fins et bien vus, les finlandais Kalle Kossila et Waltteri Merelä. Anecdote ludique, le premier des deux est né à… Neuilly-sur-Seine !
À partir de là, Fribourg et Genève seront les premiers des trouble-fêtes, Fribourg avec l’habitude et le public mais dont la gestion est contraire à un cheminement pour et vers un titre, dont la probabilité s’éloigne d’un exercice au suivant. Attaque parmi les meilleures en terme d’individualité mais le paradoxe Julien Sprunger demeure et RetonBerra «c’était très bien merci !» Un an et demi après son titre, précisément, Genève-Servette se retrouve maintenant aussi dans cette configuration-là. De nouveau, l’effectif est invariablement de belle qualité mais il manque autre chose. Ce quelque chose est à rechercher et identifier dans la nature du temps qui passe et de l’économie de marché. Et, coïncidence, leurs deux coachs seraient parfaitement interchangeables. À Genève, on a tout fait pour reconstituer la triplette du Salavat Ufa, en faisant rejoindre Teemu Hartikainen, d’abord Sakari Manninen, maintenant Markus Granlund. Cela risque bien d’être avant tout plutôt une forme de prouesse médiatique qu’autre chose et ne garantit rien.
Zoug, un casse-tête malgré lui
L’équipe de Suisse centrale est une inconnue totale. On y a constaté l’usuren certaine d’un pouvoir. Dan Tangnes est assurément essoufflé et j’irai jusqu’à dire, Jan Kovar aussi! Certes. Comme à Genève, tout le contour est toujours aussi parlant mais pourquoi créer une concurrence à trois Suédois dans la défense et évoluer à trois mercenaires dans l’offensive? L’épisode Marc Michaelis, excellent dans une équipe d’un profil Langnau, a tourné court dans une au profil de Zoug, ce qui était clairement prévisible. Kovar devenu trop confortable, peut-être compte-t-on sur Fredrik Olofsson – pas de parenté avec Jesper – pour qu’une configuration
quasi «totally swedish» fasse renouveler la sauce… Pour le moins discutable. On dira que la substance est stable mais la cohérence n’est plus maîtresse ou un atout dominant. Et finalement, ici comme dans les deux romands précités, il faudrait songer à retendre le filet.
Jesper Olofsson, puisque cité, a fait ses valises après avoir connu les trois clubs bernois et Bienne l’a remplacé par un beaucoup plus jeune compatriote, Lias Andersson, sans doute une opération positive dans l’effectif «vieillissant». Bienne perd en revanche, avec Yannick Rathgeb, Mike Künzle, Tino Kessler et Luca Hichier, quatre éléments qui vont au front. Petit avantage, les seelandais ont aussi un mercenaire de plus sous contrat, parmi lesquels le portier Harri Säteri est un sanctuaire. Mais Bienne semble à un niveau comparable à celui de la saison dernière, sans plus. Une saison où Langnau a longtemps pu croire dérégler un peu la donne. Pour la nouvelle, forts de leur duo de gardiens, les Emmentalois, apparaissent une deuxième fois tout à fait éligibles aux playoffs, même en passant par les places 8 ou 9. Les étrangers sont les mêmes (seul exemple de la ligue hormis Fribourg), l’équilibre est lucide et l’intégration des jeunes s’y fait de nouveau très positivement, comme en des temps assez reculés! Et il y a Thierry Paterlini, qui renvoie au… Tessin: des coachs suisses, c’est (décidément) une très bonne chose.
Ambri-Piotta s’est surpassé ces dernières années, ce qui est dû notamment à la qualité du duo Luca Cereda/Paolo Duca et de leur vision, ayant amené pour hauts faits des transferts de premier rang avec Dominic Kubalik (il y a déjà 6 ans!), le danois Peter Regin (qui s’en souvient? mais il est vrai qu’il a disparu trop vite) et le duo Michael Spacek/Filip Chlapik plus récemment, séparés après une saison. Et voilà que Spacek à son tour a mis les voiles. Une perte peut-être plus lourde à digérer qu’on ne l’imagine. Car son successeur Maillet, brillant durant ses deux saisons à Magnitogorsk, est un pointeur mais pas un leader/meneur. Et personne ne doit plus avoir «peur» du cheval fou Jonathan Ang, prélevé à Kloten. La sérénité du duo Tim Heed/Jesse Virtanen en défense, qui entament un 3ème binôme en Léventine, prendra d’autant plus d’importance et de galon chez les tessinois du Nord.
Une solide parenthèse
Comme Ambri, Rapperswil a connu des phases à la hausse mais semble revenir au niveau habituel qui est le sien. Avec Tyler Moy et, dans une mesure un peu amoindrie par l’âge, Jeremy Wick, les riverains du lac de Zurich ont la chance de disposer de deux Canado-Suisses de choc et de haute qualité, qui, associés aux autres «vrais» mercenaires, représentent du solide. À vrai dire, après le bond en avant des saint-gallois, on est en droit de s’interroger sur les mérites réels attribués à l’entraîneur suédois William Hedlund. Les bouleversements dans l’effectif sont les plus nombreux de toute la NL, ce n’est pas un indice positif. La
remarque à propos du coach ouvre une parenthèse et un prolongement, audacieux: un des aspects très sérieusement intéressant de l’exercice à venir sera de faire l’examen si certains ne vivent ou n’ont pas vécu au-dessus de leurs moyens et profitent davantage de leur effectif que l’inverse ! Et sont donc surestimés.
À Rapperswil, les assurances tout risque ou presque, Roman Cervenka et Maxim Noreau, ne sont plus là… ce qui contribue fortement à mettre le technicien sur le gril. Et à vrai dire, très personnellement, je ne comprends pas qu’un Malte Strömwall ait quitté Färjestad pour se rapprocher de… Roger Federer! Il est vrai que, nonobstant un immense talent, il est très instable et sans doute, influençable. En d’autres lieux, il y a au bas mot cinq raisons de poursuivre le prolongement de la réflexion avec en vrac Marc Crawford, Tangnes, Christian Dubé, son successeur à Fribourg, Pat Emond, ou encore Jan Cadieux.
Pour les ajoulots dirigés par le 4ème coach suisse de NL, Christian Wohlwend (double national canadien, soyons dans le juste), l’interrogation est presque extrême: le fait de «la jouer» subitement finlandais contrastant avec un ADN résolument nord-américain, peut s’avérer un coup gagnant et une sacrée plus-value pour les jurassiens. Le rapprochement est vite fait avec le nombre désormais impressionnant de compatriotes évoluant dans notre pays, ce quimtend à une familiarité, qu’il ne faut pas négliger. Sans compter la présence de Petteri Nummelin une année de plus aux côtés de Wohlwend. Ensuite, si Julius
Nättinen n’avait pas été transcendant lors de son premier passage en Suisse, à Ambri il y a quatre ans, il a largement convaincu avec l’IFK de sa capitale. Et Oula Palve et Jerry Turkulainen arrivent de l’Ilves et Jyväskylä avec des fiches de 64, respectivement 63 points! Autrement dit de quoi faire tourner les têtes et demvoler, notablement, plus haut que les aviateurs de Kloten qui, outre le départ de Ang, récupèrent le «Jurassien» Daniel Audette, de plus en plus à la peine en Suisse en dépit de son titre de top scorer la saison dernière (?, trois ans trois clubs…) alors que leurs deux Finlandais à eux présentent les performances les plus quelconques du cheptel. À n’en pas douter, leur nouvel entraîneur, Lauri Marjamäki, a de très belles références. Mais, hormis les déplacements en KHL avec Jokerit, qu’il a dirigé durant quatre ans, il n’a encore jamais quitté son pays natal! Une chose est certaine, les places 7, voire 6 à 14 seront très chaudement disputées.
Pour conclure, deux anecdotes amusantes: on peut constater à l’usage, combien certains clubs d’Amérique du Nord sont pourvoyeurs de joueurs dans nos championnats et c’est particulièrement le cas (format AHL) des Charlotte Checkers, le club ferme des Panthers et du Rocket de Laval, d’où proviennent un très grand nombre de joueurs! Dans la banlieue montréalaise, cela se matérialise aussi dans le sens opposé, on y retrouve par exemple pour la saison prochaine, un Connor Hughes ou un David Reinbacher. D’autre part, on observe qu’Audette y était en 2017, Maillet en vient à point, alors que, comme déjà relevé, Dauphin y retourne!
Christoph Yavkin
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